Après Alzheimer, Parkinson est certainement la maladie neuro-dégénérative la plus connue du grand public, même si l’on en cerne beaucoup moins les contours. Il faut dire que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Fin 2015, on estime à environ 170 000 le nombre de patients parkinsoniens traités en France, avec plus 25 000 nouveaux cas par an [1] ; des chiffres certainement sous-évalués du fait de l’existence de malades, notamment âgés, non diagnostiqués. 

Cette maladie neurologique serait par ailleurs de plus en plus fréquente. Le nombre de cas a doublé entre 1990 et 2015 selon Santé publique France. Une progression rapide donc et qui devrait se poursuivre dans les années à venir puisqu’on estime que le nombre de patients parkinsoniens devrait augmenter de 56% en 2030 par rapport à 2015 avec une incidence qui atteindrait 1 personne sur 120 chez les plus de 45 ans [2].

Une telle augmentation peut en partie s’expliquer par le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre de personnes âgées. Néanmoins, il ne faudrait pas en conclure que Parkinson n’est qu’une maladie de gens âgés. Si plus de la moitié des patients ont plus de 75 ans [1], près de 17% des nouveaux cas fin 2015 étaient des personnes âgées de moins de 65 ans et 4 % des sujets sont diagnostiqués avant l’âge de 50 ans [3]. 

Cachée derrière cette réalité chiffrée, il y a la réalité d’hommes et femmes qui vivent avec la maladie de Parkinson et qui n’ont finalement d’autre choix que de composer leur existence avec elle. Mais avant qu’elle ne devienne leur maladie, Parkinson est d’abord un diagnostic qui leur tombe dessus, généralement sans trop de prévenance. 

Le temps d’assimiler le changement de vie imposé

Comme pour toutes les maladies ou les accidents graves, ce qui caractérise l’annonce du diagnostic de Parkinson, c’est avant tout l’expérience de la rupture, d’un avant et d’un après, avec un “après” qui se détache peu à peu de son monde d’avant. Et “peu à peu” est bien le terme adéquat car le détachement de sa vie passée ne va jamais de soi. Il faut souvent en passer par une succession d’états d’âme avant de pouvoir accepter cette rupture de vie. 

Il y a d’abord l’annonce, généralement brutale même si parfois elle vient soulager une “errance diagnostique” [4] particulièrement éprouvante. L’incompréhension et la sidération peuvent accompagner ces premiers instants.

  • Ma vie a basculé” [5]. 
  • « Ca a été une sorte d’effondrement, totalement, parce que je ne savais pas comment ça pouvait m’arriver” [6].

Si l’annonce d’un tel diagnostic a valeur de traumatisme psychique, c’est parce qu’elle sonne “un coup d’arrêt brutal au déroulement de sa vie” [7], mais aussi parce qu’elle fait voler en éclat le sentiment d’invulnérabilité, nous confrontant de plein fouet à la précarité, non pas de “la” vie, mais de “notre” vie. 

Cette acceptation de la rupture ne peut pas être immédiate au niveau psychique. Elle exige du temps, un temps singulier et donc très variable d’un individu à un autre, mais un temps d’introspection absolument nécessaire

Parmi les modélisations du processus d’acceptation, la plus célèbre est certainement celle de Kübler-Ross avec ses 5 états qui succèdent le diagnostic d’une maladie terminale : le déni où la personne n’accepte pas et refuse de croire en sa mort prochaine, la colèrele marchandagela tristesse ou la dépression et la fin de la lutte ou l’acceptation plus sereine.

Si dans le cas de la maladie de Parkinson le pronostic vital n’est pas engagé – l’âge moyen de décès est autour de 84  ans [2] – il n’empêche que les mécanismes de défense qui peuvent se mettre en place à l’annonce du diagnostic suivent un processus similaire à celui décrit par Kübler-Ross. L’individu, avant de pouvoir accepter ce nouvel avenir, va d’abord s’en défendre avec colère souvent – “j’ai fait comme tout le monde, j’ai engueulé tout le monde, la planète entière” [8] – avec dénégation aussi, voire déni. Une dénégation d’autant plus possible que les premiers symptômes ne sont pas forcément très envahissants ou handicapants. Il peut aussi le subir avec tristesse, voire dépression, toujours submergé qu’il est par cette rupture de vie. Ces réactions défensives inconscientes font partie du processus normal d’acceptation et doivent pouvoir être prises en tant que telles par l’entourage malgré l’incompréhension que cela peut susciter [9]. 

Parki et moi

C’est le temps de l’ingurgitation et de l’assimilation psychique, le temps de sortir de sa torpeur et d’envisager l’avenir avec sa maladie, autrement dit en l’intégrant dans la construction de ce nouvel avenir. C’est à ce moment-là que commence le travail de signification où la personne va chercher à donner du sens à cette épreuve. La maladie de Parkinson n’est plus extérieure à elle, elle prend consistance et il s’agit désormais pour la personne de savoir comment composer avec elle. Cette matérialité de la maladie se retrouve également dans la manière de la nommer. 

  • Je t’appelle Parki” [5]
  • Ma nouvelle compagne, c’est ainsi que je l’appelle” [5]
  • Moi ma maladie, je l’appelle ma copine. Ma copine, elle va m’emmerder comme toute copine, elle va m’embêter, mais moi je compte bien lui rendre la vie difficile” [8]

Il n’y a pas de règle dans la durée de ce processus d’acceptation psychique. Selon les caractères de chacun, les expériences de vie, les épreuves passées, la manière aussi dont on se projette dans l’avenir, cela peut être très différent. 

  • Pour certains, le besoin de rebondir se fait sentir rapidement, rester en maîtrise, garder la main selon ses propres règles du jeu. 
  • Pour d’autres, au contraire, la reconnaissance est plus progressive et peut nécessiter le soutien d’un tiers. 
  • Parfois aussi le chemin de l’acceptation est engagé avant que le corps médical n’énonce le diagnostic car finalement il était déjà connu de la personne. C’est une sorte d’officialisation nécessaire qui va permettre de passer à la vie d’après.

Mais finalement, quel que soit le cheminement personnel, comme le dit Fischer, “quand on est gravement malade, on n’a plus guère le choix : il faut faire avec, c’est-à-dire s’adapter” [7].

Pour certaines personnes néanmoins, l’acceptation de la maladie ne représente pas un enjeu particulier. Cela peut être le cas chez des sujets très âgés pour qui la maladie fait un peu partie de la panoplie des maux de la vieillesse ; elle n’a d’ailleurs pas d’existence propre à leurs yeux, juste des difficultés parmi d’autres. Et puis qu’on se le dise, l’âge auquel on apprend sa maladie n’est pas anecdotique. L’apprendre à 45 ans, au mitan de sa vie, alors que l’on est en activité professionnelle, avec potentiellement des responsabilités familiales plus fortes et l’avenir devant soi, cela engage différemment que de l’apprendre à 80 ans alors que l’on a plus ou moins conscience de vivre la dernière période de sa vie. Ce n’est pas qu’on vit plus facilement les difficultés, mais peut-être que la voie de la renonciation est moins violente. Mais encore une fois, tout dépend des personnes, de leur force de résilience. L’âge ne nous détermine pas en tant que tel, ce serait davantage la manière dont on se projette dans la temporalité de l’existence.  

 » On le voit bien dans le soutien que nous apportons au domicile de nos clients atteints par la maladie de Parkinson, il y a un certain fatalisme chez les plus âgés. J’ai en tête ce proche aidant de 85 ans dont la femme a été diagnostiquée Parkinson 10 ans plus tôt et qui disait “Aujourd’hui, le plus important c’est de survivre”. Cela paraît dur comme ça, mais je crois qu’il ne faut pas forcément le prendre dans un sens négatif, c’est plus une forme de résignation à accepter la vie comme elle vient. Et ceci n’est pas une généralité, car certains déploient des efforts considérables pour continuer à avoir des projets, à faire seul : travailler un bout de jardin par exemple, des choses qui comptent pour eux et surtout qui donnent sens à leur vie. En promouvant la méthode Montessori adaptée aux personnes dépendantes, France Présence s’inscrit dans cette démarche. »

[1] Moisan,  F. & coll.  (2018). Fréquence de la maladie de Parkinson en  France en  2015 et évolution jusqu’en 2030. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, n°8-9, 128-40. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-neurodegeneratives/maladie-de-parkinson/documents/magazines-revues/bulletin-epidemiologique-hebdomadaire-10-avril-2018-n-8-9-epidemiologie-de-la-maladie-de-parkinson-donnees-nationales

[2] Vidailhet , M. (2018). Surveillance épidémiologique de la maladie de Parkinson en France. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, n°8-9, 126-7. 

[3] Montel, S. & Bungener, C. (2010). Coping et qualité de vie dans la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson : une réflexion clinique. Annales médico-psychologiques, 168 (3), pp.191. ff10.1016/j.amp.2008.04.008ff. ffhal-00632291f

[4] L’errance diagnostique correspond à la période de recherche d’une pathologie avant que le diagnostic ne soit confirmé. Pour aller plus loin : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2018/05/medsci180152s/medsci180152s.html

[5] Témoignages France Parkinson : https://www.franceparkinson.fr/vivre-avec-la-maladie/temoignages/

[6] Témoignage d’Anne Arthus Bertrand, Le grand direct de la santé, Europe 1, https://www.youtube.com/watch?v=MxbxcMQwW2c

[7] Fischer, G. (2009). L’expérience du malade : L’épreuve intime. Paris : Dunod. 

[8] Témoignage de Gilles Ponthieux : France Parkinson (2019). Table-ronde sur “L’après-diagnostic : réagir, combattre, se mobiliser, se forger une nouvelle vie”https://www.franceparkinson.fr/comment-faire-face/

[9] Ruszniewski M. (1999). Face à la maladie grave, parents, famille, soignants. Paris : Dunod. Cité par : HAS (2008). Annoncer une mauvaise nouvellehttps://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2008-10/mauvaisenouvelle_vf.pdf

Olivier Koch

Ancien Directeur Délégué France Présence