Vivre avec Parkinson ou le premier jour du reste de ma vie ?

 

Vivre avec la maladie de Parkinson, c’est vivre avec des symptômes qui évoluent dans leur forme et leur sévérité avec une grande imprévisibilité. C’est une grande inconnue au départ pour les personnes et leurs proches. Finalement, ils ne savent pas à quoi s’attendre. A quelle vitesse ? Dans quels délais ? Jusqu’à quel point ? Ne pas savoir génère de l’angoisse et peut conduire les personnes à anticiper immédiatement le pire, rajoutant alors de l’angoisse à l’angoisse. Elles peuvent, par exemple, se projeter immédiatement en fauteuil roulant dans un avenir assez proche ; chaque personne ayant sa vision bien singulière du pire. Il y a donc tout un temps d’apprivoisement de “sa” maladie, mais aussi de “son” traitement avec des effets secondaires plus ou moins gênants avant de trouver le dosage adapté à la personne.

Les symptômes parkinsoniens peuvent être invalidants sur le plan physique mais aussi potentiellement stigmatisants. Il faut donc non seulement faire face aux conséquences physiques de la maladie, mais aussi aux conséquences sociales. Beaucoup de témoignages mettent d’ailleurs en avant la difficulté d’en parler autour de soi, même à ses proches [1]. “Camoufler les dissonances, réduire ses contacts avec l’extérieur sont des comportements défensifs pour faire face au regard social et à la charge stigmatisante qu’il peut comporter. Souvent aussi, derrière le regard social, se cache en fait son propre regard et la difficulté à s’accepter avec ses symptômes.

La vision médicale de la maladie n’a pas grand-chose à voir avec la maladie que vit le malade” disait Fischer [2]. Cela est très juste car, comme on vient de l’évoquer, les répercussions ne sont pas que physiques, elles sont aussi psychologiques et sociales ; la maladie venant secouer la personne et tout son écosystème. Et puis vivre la maladie dans son corps, avec ses yeux à soi, c‘est forcément bien différent d’une somme de symptômes. 

 

Apprivoiser sa maladie et s’adapter 

Faire avec la maladie, ce n’est pas un choix, les symptômes s’imposent à nous. On réagit comme on peut selon ses ressources du moment, qu’elles soient personnelles, liées à son entourage proche, ou plus environnementales. Cela dépend aussi beaucoup de la situation clinique de la personne. Si elle est atteinte par des tremblements, la difficulté ressentie pourra se situer davantage dans le regard social et l’image de soi que cela lui renvoie. Si elle est atteinte par des symptômes akinétiques lourds, l’enjeu se situera peut-être ailleurs, dans l’acceptation du besoin d’aide ou dans un effort continu pour conserver au maximum son indépendance [3, 4]. 

En fait, il existe de multiples façons de réagir face à la maladie, avec des finalités spécifiques. Certaines personnes vont surtout chercher à diminuer les désagréments de la maladie ; d’autres, à résoudre certaines difficultés provoquées par la maladie dans leurs activités ; d’autres encore, à faire de nouvelles expériences qui les détachent un temps de la maladie ; alors que d’autres, se centreront surtout sur les conséquences émotionnelles de la maladie [4]. 

 

Une nouvelle vie aussi “avec” et “pour” ses proches 

Aucune de ces réactions n’est figée dans le temps, ni même complètement exclusive des autres réactions. Il faut vraiment le voir comme quelque chose d’évolutif et de dynamique. Sans oublier que nos réactions se conjuguent aussi avec celles de nos proches qui, eux-mêmes, vont déployer leurs propres réactions défensives et adaptatives. Comme dans un mouvement de balancier, il y a une sorte d’ajustement nécessaire. Parfois l’ajustement ne se fait pas, chacun des protagonistes vivant l’épreuve à son niveau, séparé du vécu de l’autre. Parfois le comportement de l’un est nécessaire pour que l’autre adopte telle ou telle posture d’ajustement à sa nouvelle vie avec la maladie.

Pour les proches aussi, il y a une rupture de vie avec ses formes de deuils successifs. Cela peut être des projets qui sont remis en question avec la maladie de son proche. Mais plus intrinsèquement, c’est un “nous” qui vole en éclat. Qu’il s’agisse d’un conjoint ou d’un enfant, la perception du “toi et moi” est forcément bouleversée, ce qui amène le “moi” a évolué avec cette nouvelle réalité. On retrouve donc complètement le même processus d’acceptation et de négociation psychique qui se joue en pleine tempête émotionnelle (article 1)

Pour un aidant professionnel, il faut pouvoir prendre de la distance avec cette charge émotionnelle et ne pas le prendre pour soi. Je pense notamment aux assistants de vie. C’est loin d’être évident, ça s’apprend aussi avec l’expérience et la formation continue. Et c’est en ayant une meilleure compréhension de ce qui se joue pour les personnes atteintes par la maladie et leurs proches que ces professionnels pourront mieux encore centrer leur accompagnement sur ce qui peut être encore fait, sur ce qui peut être fait autrement, et finalement aider les personnes à s’adapter à leur nouvelle vie.”

Véronique Cayado, Docteure en psychologie – Chargée de recherche Institut Oui Care –

 

Différentes stratégies de “faire face” ou coping

La notion de coping ou de stratégies de “faire face” renvoie à ce que l’individu va opposer “à un événement perçu comme menaçant, pour maîtriser, tolérer ou diminuer l’impact de celui-ci sur son bien-être physique et psychologique (Lazarus et Folkman, 1984)” [5].

On distingue classiquement deux modes d’ajustement des individus à une situation perturbatrice : 

  • les stratégies de “faire face” centrées sur le problème (affronter la situation et faire face aux déficits physiques),
  • et celles centrées sur les émotions (“contrôler la tension émotionnelle induite par la situation”) [4, 5].

Cette typologie est également utilisée pour rendre compte de la manière dont les individus font face pour vivre avec la maladie, avec des effets différenciés sur la qualité de vie des personnes. Il semblerait en effet que le coping émotionnel soit associé à une plus mauvaise qualité de vie chez les patients parkinsoniens, contrairement à l’autre mode de régulation centré sur le problème où l’individu va essayer d’agir sur la situation, en faisant les choses autrement par exemple ou en compensant par autre chose [4].

Dans une vidéo témoignage [6], Anne Arthus-Bertrand revient avec son conjoint sur ses premiers moments avec la maladie où elle n’avait pas envie de se confronter à elle en allant regarder sur Internet ou en rencontrant d’autres malades. Puis, le besoin d’échanger avec des personnes qui vivent la même chose qu’elle s’est fait peu à peu sentir. “Petit à petit, je me suis dit – oui il y a des gens qui sont malades comme moi – et on a besoin de se parler”. Dans ce “petit à petit”, on reconnaît à la fois le processus d’acceptation qui se joue à ce moment-là (LIEN ART 1), ainsi que la façon dont elle décide de faire face à sa nouvelle vie avec la maladie. Et sa première manière d’y faire face, c’est d’échanger avec des personnes malades comme elle. Ce type de réaction consistant à aller vers les autres, à chercher à leur parler ou à chercher leur soutien, relèverait plutôt d’une stratégie de “faire face” centrée sur l’émotion [3]. Mais tout dépend de la finalité poursuivie et cette finalité est toujours en mouvement. Rencontrer d’autres personnes malades peut aider à accepter sa maladie et à s’accepter ainsi, mais cela peut aussi être un moyen de recueillir des informations utiles afin d’ajuster son comportement dans certaines situations. Les associations comme France Parkinson sont là pour répondre à ce besoin de contacts et d’informations.

 

Le pouvoir de la signification 

Faire face à la maladie, c’est aussi donner du sens à cette vie d’après et choisir les niveaux auxquels on va vivre les choses. Certaines personnes considèrent l’épreuve de la maladie comme une occasion de se révéler à soi-même. C’est aussi une manière de faire face à la situation sur un plan, cette fois, plus spirituel et conceptuel.  Elles vont alors vivre leur maladie sous l’angle de la métamorphose intérieure. Comme une sorte de dévoilement par l’adversité, on prend conscience, malgré l’épreuve et la contrainte, des apports de cette expérience. Ce que ça nous a permis d’apprendre sur soi, sur les autres. Ce que ça nous a révélé des choses essentielles et de l’orientation qu’on voulait donner à notre existence. 

  • Que de choses que toi Parki tu m’as conduite à entreprendre, que je n’aurai peut-être pas réalisées, ou pas tout de suite” [1]. 
  • Depuis qu’elle s’est présentée je me suis encore plus rapproché de mes quatre enfants en ayant en tête nos priorités, nous marchons beaucoup, chantons, jouons à faire les plus belles grimaces et croquons la vie à chaque instant” [1].
  • Par contre, nous voyons la vie autrement. Nous souhaitons profiter un max avec notre fils de sept ans et souhaitons faire le plus chose possible tous ensemble” [1]. 

Certaines personnes ont rendu publique leur lutte à travers des exploits sportifs. On pensera à Gilles Ponthieux et sa traversée de l’Atlantique [7] ou à Yves Auberson et sa boucle de 1000 km à travers les Alpes [8]. Et puis il y a tous les défis et les exploits du quotidien, les petites astuces qu’on trouve pour continuer ses activités, toutes les techniques qu’on va essayer pour conserver ou retrouver un état physique satisfaisant pour soi [9]. 

En fait,  il n’y a pas “une” mais “des” maladies de Parkinson. Il y a tellement de facteurs qui interviennent et qui vont rendre – d’une certaine manière – cette maladie “modulable”. Selon la période de la vie où la maladie nous touche et sa temporalité… Selon sa force de résilience, les épreuves passées et comment on y a fait face… Selon les symptômes dominants, leur sévérité, leur précocité d’apparition… Selon la manière dont on essaie de vivre avec, les stratégies adaptatives que l’on déploie… Selon la manière dont nos proches font face aussi à cette nouvelle vie pour eux… Tout cela modèle une expérience de vie avec la maladie de Parkinson qui est à la fois unique et d’un équilibre fragile. 

 

[1] Témoignages France Parkinson https://www.franceparkinson.fr/vivre-avec-la-maladie/temoignages/

[2] Fischer, G. (2009). L’expérience du malade : L’épreuve intime. Paris : Dunod. 

[3] France Parkinson (2019). Table-ronde sur “L’après-diagnostic : réagir, combattre, se mobiliser, se forger une nouvelle vie”. https://www.franceparkinson.fr/comment-faire-face/

[4] Montel, S. & Bungener, C. (2010). Coping et qualité de vie dans la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson : une réflexion clinique. Annales médico-psychologiques, 168 (3), pp.191. 

[5] Langevin, V., Boini, S., François, M., & Riou, A. (2013). Ways of Coping Checklist (WCC). Références en santé du travail, n°135.

[6] Témoignage d’Anne Arthus Bertrand : France Parkinson, Anne et Yann Arthus-Bertrand témoignent sur la maladie de Parkinson, https://www.youtube.com/watch?v=d2M9kety_E4

[7] https://www.franceparkinson.fr/traversee-de-latlantique/

[8] https://www.planetesante.ch/Magazine/Actualites-et-recherche/Sante-des-people/Yves-Auberson-Avec-Parkinson-on-a-vite-fait-de-se-retrouver-devant-la-tele-a-ne-rien-faire

[9] https://www.youtube.com/watch?v=xTSSJkQRss4 ;  

https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/nancy-75-ans-boxe-trois-fois-par-semaine-pour-combattre-la-maladie-de-parkinson_4320037.html